par Najat Vallaud-Belkacem, porte-parole de François Hollande, publiée dans Libération du 28/01/2012.
A la suite de son ministre Laurent Wauquiez, Nicolas Sarkozy veut désormais se présenter aux Français comme un fervent protecteur des classes moyennes, alors qu'il en découvre l'existence à moins de trois mois seulement de l'élection présidentielle. Comment, après cinq ans d'une politique de cadeaux fiscaux aux plus riches, et d'accroissement des inégalités, osent-ils faire croire aux classes moyennes qu'ils comptent œuvrer dans leur intérêt dans les cinq prochaines années?
En considérant simplement que le projet du PS serait un «coup d'assommoir», une «saignée fiscale» sur les classes moyennes, alors qu'il consiste précisément à réinjecter dans la fiscalité de la progressivité, c'est-à-dire de la justice sociale, pour réparer la profonde dégradation des conditions de vie dont les classes moyennes souffrent dans ce pays. En prétendant que les propositions de François Hollande représentent une «attaque sans précédent», un «matraquage» contre les classes moyennes, alors même que tout son discours plaide en faveur d'une redistribution plus équitable des efforts, d'abord, et des richesses, ensuite.
Ces allégations, désormais relayées en chœur par Brice Hortefeux et Jean-François Copé appellent une question préalable à laquelle le gouvernement sortant ne peut se soustraire sans faillir à son devoir de responsabilité le plus élémentaire: quelle a été la politique fiscale de la droite depuis 2007? Sinon un allègement d'impôts principalement accordé aux très riches? Et pour quel bénéfice accordé concrètement à la classe moyenne? Qui va payer la TVA sociale?
Déjà en 2007, Nicolas Sarkozy avait pris le parti, pendant sa campagne présidentielle, de s'adresser aux classes moyennes en se posant en défenseur du pouvoir d'achat: «travailler plus pour gagner plus» avait été son slogan. Force est de constater, à l'issue de son quinquennat, que sa mesure d'exonération des heures supplémentaires, sans permettre une quelconque incitation au travail, a été surtout un énorme manque à gagner pour l'Etat: 4,5 milliards d'euros par an. De même, Nicolas Sarkozy avait défendu la diminution des droits de succession comme «la possibilité, pour chacun de transmettre un patrimoine». A peine élu, il a mis en place une réforme fiscale dont la réalité était bien différente: celle-ci ne profitait qu'aux 10% des Français les plus riches.
Le bouclier fiscal? Il était tellement inégalitaire qu'il a attiré des critiques jusqu'au sein de l'UMP: sur les 700 millions d'euros de la mesure, 600 millions d'euros ont été versés à seulement 6000 bénéficiaires. Devant ce fiasco, le bouclier fiscal a donc été récemment supprimé, mais aussitôt remplacé par une autre réforme fiscale inique, celle de l'ISF. Celle-ci consiste non seulement à baisser le taux de cet impôt (de 1,8 à 0,5% pour la dernière tranche), mais à rehausser le seuil du patrimoine minimum imposable à l'ISF de 800 000 à 1,3 millions d'euros.
Toutes ces réformes fiscales révèlent une manière bien étrange et opportuniste de favoriser les classes moyennes! A moins que dans le langage sarkozyste, les classes moyennes ne commencent à 800 000 euros de patrimoine?
Le résultat de cette politique ne s'est pas fait attendre: les inégalités se sont creusées, les services publics se sont délités. Non seulement elle n'a pas amélioré le pouvoir d'achat des classes moyennes, mais depuis cinq ans, toutes les promesses ont été trahies, ne laissant aucun espoir aux classes moyennes de donner à leurs enfants une meilleure qualité de vie que la leur.
Jean-François Copé a dit récemment: «Les classes moyennes ont besoin d'être rassurées.» Et pour cause! Elles subissent de plein fouet depuis dix ans les conséquences d'une politique d'abandon des services publics dont chacun est bénéficiaire: l'école, la santé, la sécurité, la justice, sont autant de domaines essentiels de notre vie qu'il revient à l'Etat d'administrer, et d'améliorer. On sait bien que les classes moyennes n'ont pas les moyens de pallier les lacunes de la gestion étatique: si l'école se détériore, si la suppression massive des postes d'enseignants nous conduit à avoir le taux d'encadrement dans l'éducation le plus faible de l'OCDE, seuls les plus aisés pourront contourner le système et payer à prix d'or une école privée pour leurs enfants.
Etouffées financièrement par une forte augmentation des dépenses contraintes, liée à l'augmentation du prix du logement, de l'énergie, du téléphone et de l'alimentation, elles n'ont qu'une faible partie de leurs revenus à consacrer à la culture, aux loisirs, aux vacances. Elles se sont appauvries et sont susceptibles, plus qu'autrefois, de connaître le déclassement à brève échéance.
A cause de l'échec concomitant de la politique de sécurité, elles vivent dans une société toujours plus violente: le nombre de violences aux personnes a augmenté de plus de 22% en dix ans. La police a été incitée à faire du chiffre et non à servir réellement les personnes. Ce sont toujours les mêmes qui en paient aujourd'hui les conséquences: les Français ont perdu confiance dans les capacités de l'Etat à les défendre.
Face à ces problèmes réels, le projet du PS en matière de fiscalité consiste à corriger le système actuel, profondément dégradé en cinq ans, dont la progressivité initiale a été minée par un grand nombre de réformes successives de l'impôt sur le revenu, par la multiplication des niches fiscales, et l'augmentation des impôts indirects comme la TVA.
Nous disons aussi, qu'une fois l'impôt prélevé de manière progressive et équitable entre les classes sociales, il doit être bien utilisé, notamment au bénéfice des classes moyennes. L'Etat doit employer ses ressources pour rétablir des services publics de qualité, de façon à promouvoir l'égalité des chances, et de sorte que tous les niveaux de revenus -qu'ils soient modestes, moyens, ou riches - bénéficient d'une école juste, d'hôpitaux performants, d'une police efficace. Il en va de notre pacte social. L'Etat doit également concentrer ses investissements sur les domaines porteurs de prospérité, comme l'innovation, la formation, et la recherche, pour que la France reste performante et compétitive au niveau international. Avouons que cela n'a pas de rapport avec le «cancer de l'assistanat» brandi par l'UMP comme la menace qui pèserait sur les intérêts de classe des «Français moyens».
Aujourd'hui, Nicolas Sarkozy, après avoir gouverné pendant cinq ans en favorisant les 10% les plus riches, se rend compte qu'il ne pourra pas être réélu avec seulement 10% des voix. Et comme le personnage en quête d'auteur de Pirandello, voici le Président sortant en quête de supposées clientèles électorales crédules à qui faire peur, avant de mieux pouvoir leur faire de nouvelles promesses, puis les trahir à nouveau.
François Hollande avait prévenu au Bourget: «Je sais que certains chercheront à nous faire peur, et à effrayer les classes moyennes alors qu'elles ne trouveront qu'avantage dans la réforme que nous présenterons». C'est arrivé plus tôt que prévu, avant même que le Président ne soit candidat.
Alors, rappelons-le une fois encore, les Français n'ont rien à craindre de l'égalité, rien à craindre de la justice, rien à craindre de la redistribution. On ne gouverne pas en opposant les intérêts des uns, à ceux des autres, bien au contraire: c'est toute la société française, et d'abord les deux tiers de citoyens qui composent la classe moyenne, qui a besoin de changement, maintenant.